dimanche 13 septembre 2015

Seconde peau

Je suis arrivée au festival Érosphère comme ça, par un article d'Agnès Giard. L'enveloppement dans du latex liquide promettait d'être une expérience unique, une de celles à ne pas rater.
Il ne fallait donc pas que je la rate.
C'est ainsi qu'un jeudi, je me retrouve dans une grande salle de danse avec ma robe et mon sac, assise sur une chaise à regarder les autres : des femmes et des hommes jeunes et moins jeunes, un festivalier au visage de Russe qui lui non plus, ne semble connaître personne.
L'atelier commence avec une présentation, puis des conseils : ôter tous nos vêtements sous peine de les abîmer et nous attacher les cheveux. Les hommes sont invités à se raser les parties qu'ils voudront enduites de latex. Sinon la matière se chargera de l'épilation, et celle-ci ne sera pas sans douleur.
Je tergiverse pour garder ma culotte. Lorsque je me dirige vers les toilettes, tout le monde est habillé. Lorsque j'en reviens, tout le monde est nu, ou presque. J'ai l'impression d'un drôle d'avant-après, d'un bizarre jeu des sept différences dans lequel il faut relier chacun à sa tenue.
Je pose mes vêtements sur mon sac et avance dans une forêt de ventres, de seins et de sexes. Même le photographe est nu, incongru avec son appareil à gros objectif. Il circule pour repérer les gens avec un bracelet noir, ceux qui acceptent d'être photographiés.
L'atmosphère est joyeuse. Il n'y a aucune gêne, aucun commentaire, aucun regard insistant ou déplacé. Les corps se côtoient en toute simplicité, certains minces et fermes, d'autres très ronds, d'autres abîmés.
On s'en fiche.

Les officiants sont trois. Devant eux, un seau rempli de latex liquide dans lesquels ils plongent les bras jusqu'aux coudes.
Je pensais la matière noire, elle est beige, avec une forte odeur d'ammoniaque qui m'irrite le nez et les yeux.  
Des files se forment. Premier passage. Des paumes courent, légères, de mes épaules à mes fesses. Leur caresse a une consistance de crème fraîche qui se réchauffe à ma chaleur. Très vite sa mince couche sèche et tiraille. Mes mouvements se gainent d'une seconde peau qui ne laisse rien ignorer de ses replis.
Étrange, la sensation m'est aussi familière. Que me rappelle-t-elle ? Voilà, j'y suis, un masque de beauté peel offdoublé de l'impression d'un film alimentaire agrégé à ma peau. Les pores bouchés, celle-ci ne respire plus. Sa lente "asphyxie", je le sais, fait partie de l'expérience.

Au deuxième passage, j'offre mon torse et mes cuisses.
Mes clavicules, mes mamelons, mon ventre, mon nombril disparaissent sous la crème, loisirs créatifs option peinture. Le camouflage n'est que temporaire. En séchant le latex devient invisible, véritable armure transparente qui fait changer la peau d'aspect. Elle n'est plus souple mais parcheminée comme les peaux des vieillards, comme les bras de ma grand-mère dans sa maison de retraite.
Au fil des minutes les tiraillements s'accentuent. C'est inconfortable, inédit, déroutant. Je me sens emprisonnée, emmaillotée dans un vêtement trop petit, captive d'un corset vivant qui épouse jusqu'à la moelle le moindre de mes gestes. Toute mon enveloppe se rappelle à ma conscience, hyper-présence qui s'accompagne pourtant d'une étrange absence. L'air ne court plus sur ma peau. J'en perçois bien les courants, mais brisés comme des vagues qui s'échoueraient contre un barrage.
Imperméable, le latex m'isole en altérant aussi mon toucher. Je suis une autiste claquemurée dans une écorce aussi mobile qu'un gant. Mes doigts la parcourent, tendue, aussi lisse qu'un plastique doux. Toucher un autre corps, ce n'est plus en éprouver la texture et la résistance, mais glisser tout contre, comme si la caresse s'annulait.
C'est troublant, et ce n'est pas fini.

À suivre.

Ces photos sont le rendu fidèle de l'expérience telle que je l'ai vécue.

Photos de l'article : Horst P. Horst, Shinichi Maruyama.

2 commentaires:

  1. Félicitations pour votre blog, Alda. Je regrette de ne l'avoir découvert qu'aujourd'hui. Je pense que je vais m'en délecter.

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  2. Mais faites donc, Hadrien ! Bienvenue ici, et découvrir ce blog alors qu'il est déjà lancé laisse davantage de pages à parcourir. Le BDSM n'y est que marginal, toutefois.
    Bonne lecture à vous.

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