jeudi 7 mai 2015

La Caresse en paire de claques -1

Dehors le monde est ordonné comme une rangée de platanes.
Dedans il n’est que chaos.
Dehors souffle une brise de printemps.
Dedans il fait chaud, très. Une étreinte brûlante m’emprisonne, m’oppresse, chauffe mes sensations à blanc. Je hume ma sueur comme un chien reniflerait sa propre odeur. Musquée, forte, mêlée de peur et de désir, elle me dégoûte et me rassure.
– À genoux !
Aveuglé par le bandeau, mains entravées, je m’accroupis. Pas assez vite car elle me gifle à la volée.
- Penché !
J’obéis sur le champ. Elle marque une pause trop brève pour tempérer ma peur, trop longue pour que j’en oublie mon corps. Des flèches de douleur transpercent mes bras, déchiquettent mes épaules, m’égratignent les flancs. Je voudrais résister mais elle est là, à m’épier, avide de sanctionner la moindre faute.
Silence, contrainte et discipline. Je ne peux y déroger.
– À quatre pattes !
J’hésite. Son parfum capiteux frappe mes narines puis mes paumes le sol, amortissant ma chute. Un coup de pied m’a basculé en avant.
– Jambes écartées ! Mieux que ça !
Je rougis d’être ainsi humilié, nu devant elle si habillée. En profitera-t-elle ? Oui, bien sûr, et cette certitude est à la fois supplice et délice.
Alors que le tic-tac de ses talons s’éloigne, je m’inquiète. Combien de temps me laissera-t-elle seul ?
Un, deux, trois…
Cent cinq, cent six, cent sept…
Derrière le bandeau mon sang égrène les secondes. Dans le noir les sens s’affûtent, les sons s’amplifient. Des pas étouffés, le grincement d’un tiroir, le cliquetis d’une chaîne… La scène qui se compose puis se défait me renvoie à mon impuissance.
Où donc est-elle, Alba la blanche ? Elle prend son temps, c’est certain. Elle se joue de moi, c’est évident. Elle manie à la perfection les avant-goûts de mon plaisir, deux fois A, une fois O.
Attente.
Appréhension.
Obéissance.

Voilà qu’elle se met à chantonner. Faux, mais je n’ai pas le cœur à rire. Lorsqu’enfin elle se tait, le silence retombe, opaque. Ma verge mollit. Mes muscles s’ankylosent. L’angoisse monte.
Que me réserve Alba ? Je voudrais rompre mon immobilité forcée, l'injurier, me révolter. Je ne serre que les dents pour mieux l’implorer.
Silence, contrainte et discipline. Je ne peux y déroger.
Je n’y dérogerai donc pas.

Clic, clac. Elle revient. Submergé de gratitude, je rêve de la remercier, de baiser ses bottes, de me meurtrir la langue à ses talons si telle est sa volonté.
Mais non. Sa volonté, c’est de me demander :
- Quelle couleur ?
– Noir, je réponds, ahuri.
– C’est noir que tu les veux ? Parfait.
Le martinet s’abat sur mes fesses. Ses lanières me déchirent. Je viens de comprendre et supplie entre deux coups :
– Pitié ! Rose, rose !
– Trop tard.
Antibiotique !
Brisé dans son élan, le bras s’abaisse. Déçue, peut-être furieuse, Alba me fixe. J’ai prononcé le mot d’arrêt, elle doit s’y plier malgré sa volonté de passer outre.
– Debout !
Je me relève. Les flancs me cuisent, la croupe me brûle mais la douleur n’est rien à côté de la honte. La honte, c’est ma verge ratatinée et la déception de ma Maîtresse.
Elle ôte mon bandeau d’un geste sec. Ses iris remplis de reproches m’obligent à détourner les yeux.
– Rhabille-toi.
Je m’exécute en hâte, jeudi boutonné dans dimanche. De son côté elle compte les billets à voix haute :
– 150, 200, 250… Tout y est.
Je crispe les poings. Questionnerait-elle mon honnêteté ?
La porte ouverte me signifie mon congé. Je la franchis tête basse, salué d’un ironique :
– À jeudi prochain, Gabriel.
Je me retiens de hurler « Non ! ». Un non qui serait un oui, parce que d’Alba je suis déjà prisonnier.
Mais comment en suis-je arrivé là ?

Photos : Robert Mapplethorpe, Chas Ray Krider.

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