mardi 12 août 2014

Sous le tissu la peau

Les commentaires de mon ami Stan m'ont donné envie de publier ici des textes anciens.
Au fil des jours, en voici quelques-uns légèrement remaniés.

J'aime imaginer comment les hommes font l'amour. Qu'ils me plaisent ou non, j'ai lorsqu'ils me parlent des images qui me traversent, et dans les yeux la transparence de mes pensées.
Ils me demandent si je les écoute ?
J'acquiesce, absente, écrasée sous leurs poids contre le sommier, roulée par leur poigne entre les draps, râlant mon plaisir comme une bête qu'on égorge. Haletant de dégoût parfois, les narines emplies de leur odeur âcre, fouaillée par leurs ongles sales, détournant la tête dans un dernier coup de reins qui les fera jouir.

Il est des hommes que je rêve d'asservir alors qu'ils enfilent des banalités.
- Vous avez raison, le temps s'est rafraîchi.
Mon ton est à ces mots aussi pénétré que le cul qu'ils me tendent, basculés à quatre pattes, nuque raidie d'angoisse, poignets et chevilles entravés.
Encore une protestation et j'abattrai une main sur leurs fesses molles, leur rentrant de l'autre la bourre des oreillers entre les dents.

Puis saisissant leurs cheveux à pleins poings, j'ordonnerai :
- Crache.
Complétant à part moi, à voix haute peut-être :
- Crache ton désir comme ta honte, dans un hurlement ou un souffle. L'abdication que tu viens chercher, je ne te la donne pas, je te l'arrache. C'est bien ce que tu veux, non ? Ensuite, à genoux tu baiseras mes doigts entrés dans ta chair. Ces doigts souillés de toi, suintant toi, sortis de toi mais y rentrant à nouveau, de ton cul à ta bouche et de ta bouche à ton cul.

Il est aussi des hommes auxquels je rêve de me rendre. Mais pour qu'à mon tour j'abdique encore faut-il me faire plier. À moins que, bonne fille, je ne me livre avec le mode d'emploi, fermant deux mains rétives sur ma chevelure, joignant mes poignets dans mon dos en une invitation muette.
- Serre-les, bloque-les, soumets-moi. Fous-moi ta gentillesse à fond de gorge et ta tendresse au cul ou garde-les pour après. Après le plaisir je serai fragile, friable comme de la porcelaine entre tes paumes.

Souvent, lorsque les hommes me parlent les yeux dans les yeux, les miens s'échappent malgré moi des leurs, descendent à leur cou et à leur chemise.
Sous les boutons fermés j'imagine la toison moutonnant sur la poitrine. Ou, au contraire, le torse imberbe aux tétons rétractiles.
Sous la ceinture
 le nombril en faille sismique, le ventre tendu de muscles ou enrobé de chair à pétrir.
Sous le pli du pantalon, le sexe rangé dans le caleçon, marquant les cuisses d'un cercle imperceptible.
Sous ces gangues de tissu superflu se tient le cœur. Celui de la peau douce, la peau dure qui répond en écho à la mienne car nous sommes du même bois, du même sang, de la même glaise.
J'aime quand, tel un aveu sous l'enveloppe, le pli impeccable de l'étoffe s'altère d'un renflement. Instant fugace de mise à nu du désir où se fissurent les faux-semblants.
- Je te désire...
- Moi aussi.
Sous l'homme soudain apparaît le petit garçon.
Et sous le petit garçon apparaît parfois l'homme.

J'aime cet imprévu en prélude à la séquence des corps, comme j'aime ce qui accroche, ce qui tangue et ripe pour mieux défaire le mécanisme bien huilé du coït.
Dans le cul comme ailleurs, ce n'est pas l'assurance de la plénitude que je recherche mais la faille, la fêlure, la lézarde.
Ce petit truc en moins aux yeux des autres, en plus aux miens.
Pour moi le lisse est trop plat et le rugueux tout un monde. Je me perdrais peut-être entre ses crevasses et errerais dans ses méandres, mais point sans boussole.
Au nord est la peur, au sud la jouissance, et l'aiguille folle de mon désir oscille de l'un à l'autre comme un homme entre mes cuisses.

Aussi l'image de Luc me revient-elle en tête.
Après notre rencontre dans le sud de la France nous avions convenu de nous revoir à Paris. Luc vint chez moi à la nuit tombée. Je l'attendais, vêtue simplement d'un jeans et d'une chemise.
À peine était-il entré qu'il désigna le portant qui me servait de penderie.
- Mets ta robe rouge !
Je lui obéis, me changeai dans la salle de bains et
 marchai vers lui pieds nus, d'une légèreté dansante de ballerine. Il me happa alors que je le croisai et me porta sur le lit.
Le Luc de mes vacances était attentionné et charmant. À mille lieues du fauve que je découvrai alors, m'écartelant sur le matelas et me mordant les épaules.
La robe finit roulée sur ma poitrine, dépenaillée sur mes hanches.
Sous le tissu étaient nos peaux dans leur vérité.
Les hommes ne sont jamais aussi sincères que lorsqu'ils font l'amour.

Photos : Robert Mapplethorpe, Will Santillo, Gilles Berquet.

6 commentaires:

  1. "Les hommes ne sont jamais aussi sincères que lorsqu'ils font l'amour."

    Le cil du loup ? Décidément tu ne te contentes pas des façades, tu veux voir les failles sous la peinture !

    Chaque homme qui te lit se posera la question "Comment je fais l'amour ? Qu'est ce que cela dit de moi ?"
    A commencer par ... moi.

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    1. (Désolée, je reposte ce commentaire, il y avait dedans une coquille que je n'arrive pas à corriger... Je ne maîtrise pas encore bien le site !)

      Et la réponse est... ? (Je plaisante !)
      Pour un complément sur l'article : il ne s'agit pas d'une "sincérité d'être", dans le sens où sa manière de faire l'amour ne définit pas un homme. Elle révèle plutôt une de ses facettes lorsque le sexe rime avec un laisser-aller, un abandon. Ceux-ci permettent d'accéder à une vérité/sincérité malvenues dans un autre contexte (social notamment).
      Luc, par exemple, était un homme charmant et policé... et à la fois une "bête". Qu'il se soit autorisé cette liberté avec moi était gage de confiance, même si cela m'a euh, désarçonnée sur le coup. J'avais la petite vingtaine, je cherchais encore une solution de continuité entre "l'être" social et privé. D'où ma surprise (mon effarement ?).

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  2. "Les hommes ne sont jamais aussi sincères que lorsqu 'ils font l' amour" ....peut être Alda mais nous ne sommes pas dans leur tête....alors dire qu 'ils sont vraiment sincères.....et bien peut-être pas à chaque fois. Certains cachent très bien leur jeu et on s' y laisse prendre....à chaque fois .....et on y prend goût finalement (rires)

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  3. Oui, tu as raison. Disons que je préfère penser que ce que je perçois est la réalité... Peut-être faut-il que je me remette le cil du loup (rires) ?

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  4. Meci Stan, je n'en attendais pas moins de vous ! :D

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Maintenant, à vous !