lundi 11 mai 2015

La Caresse en paire de claques -3

Le chapitre précédent ici.

À peine réveillé, Gabriel prépare une grande lessive. Alors qu’il trie le linge, son alliance accroche le bouton d’une chemise. Aussitôt l’image d’un cadenas doré s’impose. Aussitôt lui succède un buste décapité sanglé de jaune citron.
Mais quel visage a donc cette femme ?
La machine à laver a un soubresaut. Appeler Alba n’engage à rien. Entendre sa voix, ce n’est pas un crime ! Gabriel n’est même pas obligé de lui parler. Il ne fera que l’écouter, voilà.
Le vacarme du tambour emplit la pièce. Gabriel récupère l’ordinateur de Justine, tape fébrilement « Maîtresse Alba » dans le moteur de recherche, clique sur « J’ai de la chance ».
J’ai de la chance… La machine se fend d’un gargouillis moqueur.
Le combiné brûle la joue de Gabriel.
Une sonnerie. Son cœur bat à s’en décrocher.
Deux sonneries. Ses aisselles s’ornent d’auréoles pâles.
Trois sonneries. Son café lui remonte dans l’arrière-gorge, goût infect de peur et de culpabilité.
– Bonjour. Vous êtes chez Maîtresse Alba, mais je ne peux…
Gabriel se sent délivré, enfin autorisé à reprendre le cours de sa vie.
– Allô ?
La question le prend par surprise.
– Allô ? Parlez !
– Alba ? Euh… Maîtresse Alba ?
– Oui. Je t’écoute.
Le brusque passage du vous au tu le désarçonne. La familiarité, ça le hérisse, Gabriel. Son appel est une erreur, sa curiosité la pire des conseillères. Cette femme, il n’a rien à lui dire. Moins bien élevé, il lui raccrocherait au nez.
Immédiatement.


– Désolé, je me suis trompé de numéro.
– Ah… Tu t’es trompé de numéro mais tu connais mon nom ?
Le ton n’est pas moqueur, presque complice.
– J’ai vu votre site et…
– Tu as déjà été soumis ?
Manquant de s’étrangler, il croasse :
– Non !
– Tu veux donc tenter l’expérience ?
Gabriel en reste interdit. Que répondre ? Son cerveau malmené par la machine à laver n’est qu’un ballot de linge sale.
– Comment t’appelles-tu ?
– Ga… Gabriel.
– Parfait, Gabriel. Aujourd’hui 15 heures, 41 boulevard des Capucines, code C352, 4e droite, dernière porte. Je te garderai une heure, tu me paieras 250 euros. Sois ponctuel, je déteste attendre !
– Mais…
Trop tard. Elle a raccroché.

Des hallebardes tombent du ciel sombre. Courbé sous la tempête, Gabriel dévale le boulevard des Capucines. Il ne pense à rien, pas même à sa femme.
« Vous promettez à Justine fidélité, partage des joies et des peines… »
Il a promis, et alors ? Justine ne souffrirait que de la vérité. Une vérité qu’en bon époux, il se gardera de lui révéler. De toute façon tous les maris trichent un jour avec leur femme, et toutes les femmes un jour avec leur mari. L’entorse, non, la désobéissance aux lois du mariage est inéluctable. Posséder l’autre jusqu’à la moelle, la belle illusion ! Personne ne livre tous ses secrets. De secrets Gabriel n’en aura qu’un. En deux ans d’union, ce n’est déjà pas si mal.
Immeuble haussmannien, porte cochère, digicode. Gabriel évite son reflet dans la glace. Une fois au 4e il essore une mèche ruisselante, s’essuie le visage, inspire un grand coup avant de presser la sonnette marquée d’un A.


Des pas retentissent. Le judas pivote. Gabriel se force à sourire. La présence tapie derrière le battant lui oppose un silence circonspect. Elle le jauge des pieds à la tête, et guère à son avantage. La faute à cette pluie qui a tout gâché.
Gabriel est minable avec ses cheveux trempés, sa veste qui colle à sa chemise qui colle à son torse.
La porte s’ouvre enfin.
Gabriel avance le long d’un couloir désert.
Mais où se cache Alba ?
Un flot de lumières l’éblouit. Il se retourne, pris au piège. Des yeux translucides le transpercent. Immenses, frangés de cils jais, ils ont la couleur d’un lac agité de remous.
Mais quel visage a donc cette femme ?
À présent Gabriel sait. Cette femme a le front haut et bombé. Des sourcils en accents circonflexes. De hautes pommettes de slave. Un menton volontaire adouci d’une fossette. Une bouche longue, sensuelle, aussi charnue qu’un fruit croqué.
Maîtresse Alba a l’air d’un ange tombé du ciel, mais d’un ange de la couleur de sa robe et de ses bottes. Noir.
Sans un mot elle lui ouvre le chemin.
Sans un mot Gabriel la suit.

          Dessin de Manara.
Photos : Dita von Teese par Chas Ray Krider, Dave McKean.

3 commentaires:

  1. J'ai souvent remarqué que la fatigue, la colère, la douleur, la peur, multiplient le désir et le plaisir. Pourquoi ? Est-ce un reflexe préhistorique qui pousse les hommes à tenter de se reproduire en cas d'agression, de maladie, pour que survive la tribu ? Les années 20 débordent de sexualité après la boucherie. Les années 50 n'en parlons pas !
    Est-ce le soulagement de l'orgasme qui se voit multiplié par la douleur précédente ? Qu'en penses-tu ?

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  2. Bonsoir Coldbear,
    je pense que tu as raison... Il y a à mon avis une "pulsion de vie" qui suit les catastrophes de près, sans compter que le sexe est lié au plaisir, denrée rare en temps de crise (et pire).
    Ton commentaire m'a fait penser à une étude dont le résultat m'avait laissée coite : en situation de compétition masculine, l'éjaculat contient davantage de spermatozoïdes, ce qui multiplie les chances de féconder la partenaire. La nature a de sacrés tours dans sa besace !

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