dimanche 10 août 2014

Nouvelle vie, nouvelle maison

Dès notre entrée dans la maison, il est venu, le petit déclic. Celui qui me faisait défaut, que j'espérais en vain depuis le début de mon marathon immobilier.
Au fil des visites une conclusion s'imposait : dix jours, seulement dix petits jours pour trouver L'endroit avec un grand L, c'était une folie !
Parce qu'il me fallait un endroit, et non pas un envers, un vague "par défaut" nommé compromis.
Il me fallait lieu qui me correspondrait, prêt à accueillir tous mes cartons venus des Philippines. Un lieu partiellement meublé que j'appellerais enfin "maison". Un lieu où je me sentirais bien, libre d'aller et venir, de créer... heureuse de Vivre, en somme.
Là, impossible de me tromper. Les frissons le long de mon échine me soufflaient que ce lieu, je venais de le trouver.
C'était ici et nulle part ailleurs.

Qui l'eût cru ? Pas moi, en découvrant la photo de la maison sur un site immobilier. De mauvaise qualité, prise à la va-vite par un jour de grisaille, elle montrait une triste bâtisse à l'angle d'une triste rue.
La maison ? Un seul étage écrasé sous un toit en zinc.
Autour, un terrain laissé à l'abandon.
À l'avant, deux balancelles engoncées sur un carré de gazon.
Le tout semblait morne, négligé. Déprimant.
- Pas étonnant que personne n'en veut... Elle est à louer depuis des mois ! pensai-je. 
Aussi avais-je hésité à contacter Jenny, l'agent immobilier. Mais avec les jours qui défilaient en accéléré, je n'avais plus rien à perdre. D'autant que le loyer était dans mes prix et le quartier agréable.


Le fils du propriétaire nous attendait près du portail. Avant de déménager, il n'avait vécu qu'ici. Ses parents aussi, mais ils se faisaient vieux, à présent. Un logement plus moderne leur conviendrait mieux.
Cette maison et son bout de terrain, ils les quittaient à regret. Leur fils aussi, l'âme lourde de la laisser à un inconnu.
Moi, je pensais à ma grand-mère qui avait passé sa vie dans sa maison du haut de l'impasse. Une maison qu'elle n'a jamais quittée avant que la maladie ne l'en chasse.
Dans ma poitrine mon coeur a fait un noeud.

Lorsque la porte s'ouvrit, je ne vis qu'un énorme buffet en travers du salon.
Puis, au sol, les dalles piquetées de blanc.
Puis, aux fenêtres, les lattes en verre dépoli.
Puis, en haut des murs, les meurtrières ménagées dans la brique. 
Tout, dans ce lieu, me renvoyait au siècle dernier.
Les tomettes assombries par des générations de pas.
Le mobilier d'un autre âge, des chaises d'écolier aux tables branlantes.
Les larges armoires obstruant les chambres, mais il fallait bien des penderies et des tiroirs pour toute la famille.
L'espace buanderie avec ses plaques de cuisson et sa corde pour ouvrir le toit.
L'évier de la cuisine serti dans le carrelage, avec son robinet à l'ancienne.
Le lavabo au bac jauni et fissuré, placé dans la cuisine et non dans la salle de bains, trop petite et bâtie après coup.
Je pensais aux photos de Willy Ronis et de Brassaï, à leurs femmes à la toilette devant un miroir au tain gâté.
Je pensais aussi aux vieilles fermes et à la maison de famille de Méline, une amie d'enfance. Bien qu'à l'autre bout du globe, cette maison des tropiques lui ressemblait.
Différentes cultures mais même cachet, même histoire, même souffle de temps arrêté et de nostalgie flottant entre les murs.


Aussitôt j'ai dit oui et signé le bail dans la foulée. Pour la durée minimum, soit un an.
Un an ? Aaaah ! Moi qui choyais ma liberté, qui voulais m'autoriser à partir sur un coup de tête, qui ne voyais guère au-delà du mois prochain... Un an ! Un an, ça sonnait pire qu'un siècle !
De retour aux Philippines, j'ai douté.
Louer cette maison était une erreur, non ?
Qu'allais-je donc fiche là-bas ? Dans ce pays, dans cette ville ?
Mes souvenirs s'estompaient, mon intuition aussi. La maison m'apparaissait au travers d'un soudain brouillard de peur.
Comment était-elle, déjà ?
Je me la rappelais à peine.
Un mois et demi plus tard je revenais. Et à peine avais-je poussé le portail que je sus.
Non, cette maison n'était pas une erreur.

Je n'ai pas gardé tous les meubles du propriétaire. Avec sa permission, bien sûr. On ne sépare pas à la légère d'affaires qui accompagnèrent quelqu'un toute sa vie. 
J'ai déplacé les armoires pour gagner de la place dans les chambres, mis dehors les plus vilaines chaises.
Rideaux, tapis, canapé, bureau, lampes, étagères... Kelvin m'a aidé à remeubler à mon goût.
La maison n'est pas moderne ni toujours pratique. Je m'en fiche.
C'est chez moi et tout ce qui compte.

Photos : Elliott Erwitt, Cornell Capa, Brassaï.

4 commentaires:

  1. Ah, tu as trouvé un chez-toi qui te correspond, enfin....

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  2. Quel plaisir de te retrouver! J'avoue avoir été très négligente... Mais je vais t'écrire et te raconter mes déboires! Car déboires il y a... Je t'embrasse fort. À bientôt.

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  3. À Ordalie : oui, ça y est, merci ! J'aimais aussi beaucoup ma maison aux Philippines, mais c'était ce qu'il y avait autour qui ne me correspondait plus.
    Si je me laissais aller un peu, j'en rénoverais certaines parties, de cette nouvelle maison... Mais comme j'ignore combien de temps j'y resterai, autant éviter les grands travaux !

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  4. à Marie : les grands esprits se rencontrent... Je pensais justement beaucoup à toi ces derniers temps en me disant que ça m'embêtait qu'on ait perdu le contact. Tu as eu beaucoup à affronter ces derniers temps...
    J'attends ton mail avec impatience, belle amie !

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