samedi 30 août 2014

Feu mon amour, toujours, encore, enfin

En fermant mon ancien blog, j'ai remis le nez dans de vieux articles, et ces articles m'ont menée aux commentaires. J'ai relu un échange avec Stan, Slev et Ordalie. D'avis que certains billets étaient publiables, ils me poussaient à en faire quelque chose. Un recueil, par exemple.
L'idée a-t-elle surgi avant ou après ?
Je ne sais plus. Mais le fait est que, à des années de distance, leurs encouragements ont ricoché sur mon présent pour me donner un nouveau souffle. Ils m'ont aussi remis en mémoire tous les amis, les amants, les professeurs et les lecteurs anonymes qui ont davantage cru en moi que moi-même. Et ma frustration, mon mécontentement, ma colère à les décevoir.
L'écriture personnelle devenue livre, c'est par ma faute ma baleine blanche, mon Grââl inaccessible.
Il fallait que ça change. 

Le dossier était là, dans mon ordinateur, intact, comme m'attendant depuis toujours. Je l'ai rouvert, un peu méfiante. Il contenait une dizaine d'histoires. Certaines courtes, d'autres très longues. Certaines brutes, telles que publiées sur le blog ; d'autres en cours de réécriture ; d'autres, enfin, intégralement terminées.
J'ai commencé par les dernières. Pour une maniaque comme moi, obsédée de la virgule et compulsive du synonyme, le définitif d'il y a trois ans n'est plus le définitif d'aujourd'hui. J'ai repassé la moitié des textes au crible, coupé, raboté, poli, recloué.
Dix jours de travail intense. De quoi m'avouer satisfaite, pour une fois.


N'empêche que la vérité était ailleurs. Dans l'évidence que, ce document-là, je ne cessais de lui tourner autour tout en l'évitant. Aimantée et repoussée par lui avec une force égale, réservant toujours à demain l'immersion, le grand chantier.
J'avais peur, je crois. Peur de replonger dans la tourmente des mois hantés par un seul homme, par ses yeux, son sexe, sa peau. Peur d'en ressortir exsangue. Peur de découvrir que notre histoire, je l'avais mal écrite, ratée du début à la fin aussi bien sur papier que dans la vraie vie.
C'est un message de Marie qui servit de déclic. Feu mon amour... avait-elle jadis tapé avec trois petits points. Touchée par ces billets, elle avait tenu à me le dire, et sa gentillesse n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Je pensais aussi à Slev, à ses généreuses corrections sur un roman inachevé.
Il n'y eut alors plus de demain.
Sans plus aucun délai, j'avais rendez-vous avec Feu mon amour.

Trois heures-onze heures, midi-minuit... C'est étrange de replonger avec tant intensité dans le passé, de s'user les yeux sur un cimetière de pages. Quasi schizophrène, à dire vrai. Je suis à nouveau cette femme qui a follement aimé un homme qui ne l'aimait pas. Aujourd'hui, cet homme, je ne l'aime plus.
Je suis à nouveau cette femme qui veillait pour rédiger et recevoir en retour des messages-fleuve. Aujourd'hui, nous ne sommes plus en contact. 
Je suis à nouveau cette femme fraîchement opérée, brisée par une rupture ni très glorieuse ni très propre. Aujourd'hui, j'ai recollé les morceaux et bâti une vie différente. Une vie qu'à l'époque, je n'imaginais même pas.
Je suis à nouveau cette femme alors que je suis devenue une autre, une autre que cet homme aurait sans doute préférée.
Je suis aujourd'hui cette femme qui rouvre notre correspondance, cent-vingt pages dont je n'ai jamais eu le courage de me défaire. Ma mémoire en avait effacé certains bouts et préservé d'autres, si vivaces qu'ils pourraient dater d'hier.
Étrange de reparcourir nos espoirs, nos promesses et mes larmes avec autant de détachement.
Étrange d'habiter de ma nouvelle maison un espace-temps révolu. Étrange de retourner en France depuis la Malaisie. À l'époque j'occupais un petit deux-pièces parisien, je grelottais en hiver, je fréquentais les soirées BDSM, j'avais les cheveux mi-longs, les idées peut-être plus courtes et sûrement moins de cernes.

Kelvin dit que me consacrer à ce texte me provoque "des sautes d'humeur". Que ça me rend tour à tour tendre et agressive, heureuse et déprimée, suractive ou léthargique. Que j'en perds et le nord et ma solution de continuité.
Je ne crois pas. Feu mon amour n'y est en vérité pour rien et l'écriture pour tout.
Écrire est une tâche lente et fastidieuse, un processus retranché des autres et du monde, une besogne qui happe autant qu'elle obsède, une ascèse qui mêle le jour et la nuit.
Le jour j'écris à ma table et la nuit j'écris en rêve. Je ne dors que d'un oeil en me récitant des pages de texte. Je me réveille des mots collés aux paupières, des phrases coincées en travers du gosier. Au matin, épuisée, j'ai tout oublié et je fulmine.
Vissée à mon coussin, je fume comme un pompier et sue comme un déménageur. Je traque les répétitions et chasse les fautes d'orthographe. Je parle tout haut et rigole toute seule. J'ai des accès de doute et des joies stupides. Le mot juste me ravit. Une belle métaphore me met en extase. Un problème de narration résolu et c'est l'orgasme.
Je tordrais le cou à cet auteur qui, un jour déjà lointain, m'a affirmé :
- Il n'y a pas d'écrivain heureux.
(Non que je me considère comme un écrivain. Être une femme qui écrit, c'est déjà pas mal.)
Manger, boire, me laver ? Des corvées car il faut s'interrompre au risque de perdre le fil.
Faire les courses, la vaisselle et la lessive ? De pures pertes de temps.
Enfermée dans ma tour de mots je me rêverais bionique, infatigable, sans besoins. Impossible. Alors je me force, pour mon propre bien. J'assure le quotidien, je sors un peu, je discute, je regarde des films. Je me surprends même à y trouver du plaisir. Avant, je n'aurais éprouvé qu'ennui et frustration.

Avant, retourner à cette histoire d'amour m'aurait mise par terre, je crois. En supprimer des paragraphes aurait rimé avec amputation. En altérer des parties, avec trahison. Quant à y ajouter des épisodes, avec impudeur.
Amputation, trahison, impudeur... Aujourd'hui je m'en fiche. J'écris mon ancien moi (presque) comme s'il appartenait une autre. Je me recrée des talons aux cheveux comme pour un éloge funèbre. Souvent ça m'émeut. Souvent je souris. Et toujours je me rappelle, mais sans amertume ni colère.
Loin de me transformer en harpie, Feu mon amour me vide en m'emplissant, range mon désordre et nettoie ma merde.
Je me délivre. Je fais la paix, enfin. Et ça, ça soulage jusqu'aux os.
Seul bémol ? Mon départ en Indonésie dans neuf petits jours. Je ne suis pas certaine d'arriver à boucler le texte avant.
Il faudrait, pourtant.

Photo de Yves Marchand et Roland Meffre. Montage de Thomas Allen.

10 commentaires:

  1. Oh! Merci!

    Votre adresse mail est-elle toujours la même? C'etait de cela, je crois, dont nous avions brièvement parlé il y a quelques mois. les silences sur le blog pouvaient tout laisser penser à ce sujet, soit que vous vous consacriez à ce travail d'ecriture, soit que, partie sur d'autres trajectoires, vous etiez passée à autre chose.
    Je suis ravie, vraiment.

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  2. Un grand merci, Mars. L'écriture n'est jamais vraiment loin (même si j'aimerais souvent m'en détacher !).

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  3. Dans ma précipitation du retour et mon mot rapide de ce matin, je ne n'étais pas passé chez Chut avant de demander Et le blog ?. La réponse était là. Comme il fait bon la lire. Et que le chantier de Feu mon amour renaît désormais de ses cendres. Et que Aldaway, ça sonne comme un titre que le barreur écouterait devant un beau sillage de miles à venir.
    Slev

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    1. Oui, mon cher capitaine (et non de hasard, fût-il cher),
      l'horizon est dégagé ! Le chantier tire sur sa fin, le texte est presque achevé. Presque, car il y a toujours davantage à corriger, à ajouter, à retrancher, mais presque tout de même. Et si le coeur vous dit de découvrir la version finale, j'en serais ravie.
      Amitiés d'ici !

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    2. Bien sûr que le cœur m'en dit ! Est-ce vraiment une question ? Le cœur, la tête, les jambes, tout mendie si c'est pour faire l'homme-aune.

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    3. L'homme-aune, j'adore ! Il y avait aussi L'homme-aulne pour un vrai roi. :)
      Le résultat très bientôt dans ta boîte (à malices).
      Belles amitiés d'ici, cher Sève.

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  4. Je t'embrasse fort! A tout bientôt ma belle...

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  5. Superbe texte Alda, que je suis contente de te retrouver;-) Qu'est ce que j'aime ce "Aujourd'hui je m'en fiche" ! Je n'arrive pas encore à dire cela de mon ancien amour mais je sais que je n'en suis pas loin car moi aussi je veux être soulagée "jusqu'aux os";-) Je te souhaite plein de bonheur dans ta nouvelle maison et t'envoie de belles pensées de Berlin. Céline

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    1. Ah, quel plaisir de te lire ! Je devine entre les lignes ta dernière année... Le remède au soulagement est, sans surprise, le temps, le temps et encore le temps. Mais pour te dire : j'ai terminé le texte lundi dernier et j'ai rêvé plusieurs fois cette semaine de Feu mon Amour. Avant-hier, il me quittait pour une autre et je pleurais toutes les larmes de mon corps. L'inconscient a de drôles de retours (de flamme), parfois.
      Je t'embrasse, belle Céline de Berlin.

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